Rose Belmas a fondé les Ateliers du théâtre en 1963 ; elle s’y est
consacrée jusqu’en novembre 2000, date de sa
disparition.
De la carrière d’actrice à l’animation culturelle.
Née en 1928, Rose a eu la vocation du théâtre à l’âge de dix ans, lors d’une représentation du Misanthrope dans laquelle jouait Jean-Louis Barrault.
Rapidement, il y a eu la guerre, l’occupation, les persécutions. Elle a pourtant pu commencer sa formation théâtrale avec Sylvain Itkine, comédien, dramaturge et surtout grand metteur en scène tué par la Gestapo en 1944.
Vers l’âge de 17 ans, Rose a intégré à
Paris le cours de l’Atelier, dirigé par Charles Dullin.
Ce metteur-en-scène exigeant, profondément passionné
de théâtre et de culture, n’en était pas
moins humain et généreux, et Rose l’a préféré à Louis Jouvet, plus dur avec ses élèves. Elle
considérait vraiment Dullin comme son maître et lui a
conservé une véritable vénération.
A partir de 1947, Rose Déhan
(puis Belmas), a joué dans de nombreux spectacles donnés
dans divers théâtres parisiens (Théâtre de la Huchette, Théâtre
des Noctambules, Théâtre de Poche ...), et participé à
des émissions radiophoniques et télévisées.
Elle était notamment distribuée dans Henri IV de
Pirandello avec Jean Vilar en 1953, au théâtre de
l’Atelier…
En 1951, parallèlement à
sa carrière de comédienne, elle s’engage dans
l’Education Populaire, cadre dans lequel elle développe
une grande activité : stages de réalisation pour lesquels
elle écrit parfois des adaptations comme celles du Roman de François Villon de Francis Carco et de La République des Animaux de George Orwell; spectacles « Livre Vivant », animations
régulières de groupes d’expression orale, cours
aux Ateliers du Théâtre. Elle réalise également
un travail de recherche avec la création de « valises
culturelles » offrant aux animateurs des recueils de
textes de veillées sur un thème proposé, et de
documentaires sonores et visuels, entre autres sur Van Gogh et sur
Toulouse Lautrec. Rose faisait alors partie des Conseillers
Techniques et Pédagogiques (CTP) du Ministère de la
Jeunesse et des Sports.
Elle adhérait entièrement
à l’idéal de l’Education Populaire, aussi
bien par sa passion pour la culture artistique que par son désir
de la faire partager à tous, au mépris des barrières
sociales.
A partir de 1963, les Ateliers du Théâtre sont devenus le cadre privilégié dans lequel son amour du théâtre et ses talents de pédagogue pouvaient se donner cours. Elle y a réalisé de nombreuses mises en scènes et remporté les tréteaux de bronze pour Les Deux Gosses de Pierre Decourcelles au festival Théâtre 13 en 1983.
En 1982 elle a obtenu, avec les jeunes futurs professionnels du Théâtre de l'Ombre, le premier "masque d'or" décerné par la FNCTA, avec le Contre Pitre d'Hélène Parmelin.
La méthode et l’enseignement.
Chez Rose comme chez Dullin, l’intuition prime sur la théorie. Comme son maître, ce qu’elle a gardé de la révolution réaliste
c’est le travail individuel de l’acteur basé sur
ses expériences personnelles, et l’exigence de vérité
dans l’expression des émotions. Mais elle détestait
tout ce qu’il y a de plat et de banal dans le réalisme
et recherchait la poésie plutôt que l’exactitude
dans la mise en scène.
Comme Dullin encore, elle accordait une place primordiale à la diction (disant que les plus jolies nuances d’une interprétation seraient perdues pour le
public si le comédien ne savait pas se faire entendre) et au
travail corporel, utilisant par exemple les exercices de masque
neutre, de marche en rythme, etc. Elle faisait pratiquer bien-sûr
l’improvisation à ses élèves, afin de les
aider à intégrer le personnage et la situation et à
développer leur imagination. Cependant, à une époque
où on a eu tendance à laisser le texte de côté
comme quelque chose de secondaire voire de gênant, elle en a
toujours défendu l’importance et montré un grand
respect des auteurs.
Que jouer ?
Rose lisait vite et beaucoup, en
particulier de la poésie, et du théâtre
naturellement; elle s’intéressait énormément
au cinéma, allait au théâtre; bref, sa culture
(comme sa bibliothèque, sa filmothèque, sa discothèque)
était impressionnante. Pour nous elle privilégiait les
textes drôles. Ayant conscience des souffrances que la vie
inflige à chacun, elle redoutait de faire revivre à ses
élèves des situations douloureuses. Elle appréciait
aussi dans certaines comédies, comme celles de Courteline, une
amusante férocité à l’égard des
défauts humains, bêtise, lâcheté, égoïsme,
etc.
Nous avons pourtant joué un
spectacle Tchékhov, auteur dont elle aimait infiniment la
mélancolie et le courage.
Hedda Gabler, un drame
D’Ibsen, a été aussi une exception. Quant aux
Deux Gosses, de Pierre Decourcelles, c’était un
mélodrame, mais joué au « deuxième
degré ».
Nous nous sommes souvent tournés
vers les dramaturges contemporains : Guy Foissy, Hélène
Parmelin, Jean Tardieu, Jean-Pierre Pélaez… Rose aimait
bien que nous nous exercions sur des textes courts ; travail
modeste mais efficace qui nous faisait progresser en douceur.
(En annexe on trouvera un essai
de portrait de Rose Belmas à travers ses auteurs préférés;
un article sur les Ateliers du Théâtre de 1963 à
2000 donnera davantage de détails sur l’activité
de l’association du temps de sa fondatrice).
Et la manière…
Rose Belmas avait sa manière
à elle d’enseigner, propre à sa nature. Elle qui
pourtant n’avait guère de confiance dans l’être
humain en général avait un cœur incroyablement
aimant et généreux. Sa marque personnelle, c’était
une attitude chaleureuse envers autrui, attentive, confiante,
affectueuse. Ses élèves se sentaient aimés,
chacun tel qu’il était, et c’était pour eux
très motivant, très encourageant. Il y avait une
grande délicatesse dans sa façon de diriger ses
comédiens, de les pousser en avant peu à peu, ce qui
n’excluait pas la fermeté. On se faisait quand-même
houspiller parfois si on n’y mettait pas assez d’énergie.
Certes, elle plaçait le
résultat artistique très haut, mais ce qui comptait
encore davantage, c’était la personne qu’elle
avait en face d’elle; même si elle était très
fière, très heureuse lorsqu’elle avait particulièrement réussi une réalisation
, comme Le Contre-Pitre d'Hélène
Parmelin ou Les Deux Gosses
de Pierre Decourcelles, elle ne réclamait pas la vedette ;
là encore, la primauté revenait à ses comédiens,
aux progrès et aux satisfactions que le succès
signifiait pour eux ; c’est pourquoi le cadre de
l’éducation populaire lui convenait si bien.
Depuis Novembre 2000.
Il est important pour les animateurs
actuels des Ateliers du Théâtre de rendre hommage à
la fondatrice de l’association, qui a été
également, pour certains, leur professeur et leur amie; car,
si chacun d’entre nous poursuit sa formation selon ses goûts,
ses intérêts propres, si les Ateliers du Théâtre
ne sont donc plus tout à fait semblables à ce qu’ils
étaient du temps de Rose, nous avons à cœur de
garder de cette époque-là des aspects essentiels :
l’ouverture à autrui, la rigueur technique, l’amour
et le respect de la culture, un certain mélange de sérieux
et de légèreté.